L'Œil Ardent de Manuel Besse en Mata Atlântica « LE DERNIER SOUFFLE »
- hupsoomagazine
- 8 oct.
- 5 min de lecture

Traduire du portugais brésilien au français, O Globo
Quand le reportage en noir et blanc devient un acte de Résistance
RIO DE JANEIRO – Le photographe français Manuel Besse, connu pour son œil audacieux et son engagement auprès des communautés fragiles, a lancé son projet le plus ambitieux : « LE DERNIER SOUFFLE » de la Mata Atlântica, la forêt atlantique brésilienne. Loin des clichés sur le "poumon vert", Besse plonge dans l'intimité d'une tragédie environnementale séculaire. Il décrypte pour nous la méthode derrière l'urgence.
(L'interview se déroule dans un lieu sobre, propice à la concentration. L'intensité du photographe est palpable, le geste précis, le regard affûté.)
O Globo: Manuel, votre nom est associé à des reportages poignants, souvent centrés sur l'humain face à des défis extrêmes. Pourquoi la Mata Atlântica aujourd'hui ? Qu'est-ce qui vous a amené à vous pencher sur ce biome si particulier ?
Manuel Besse : La Mata Atlântica, c'est une blessure ouverte, un choix qui s'est imposé par sa violence silencieuse. On se focalise sur l'Amazonie, mais cette forêt côtière, réduite à 10-15 % de sa surface d'origine, est là où l'histoire coloniale du Brésil a commencé, et où la destruction a été la plus implacable. C'est le fantôme d'une forêt immense qui hante le littoral.
Ce qui me frappe, c'est que cette destruction est devenue structurelle, invisible aux yeux des citadins. Sous les villes, sous les hectares de monoculture, l'histoire de la forêt est effacée. Mon rôle, c'est de redonner de la chair à ce fantôme, de capturer la mémoire du sol, la dignité des survivants – arbres et humains. C'est une forêt assassinée, pas juste menacée. Je dois enregistrer le crime et photographier l'espoir de sa résurrection.


L'Esthétique du Réel : Un Noir et Blanc comme un Uppercut
O Globo : Votre travail sur le terrain, en noir et blanc et très humain, amène inévitablement les critiques à établir des comparaisons avec de grands noms du photojournalisme. Ressentez-vous une filiation ou une influence particulière ?
M.B. : Je comprends parfaitement la comparaison. Quand on travaille sur des sujets sociaux et environnementaux en noir et blanc, c'est un réflexe. Mais il faut remettre les choses en perspective. Je fais de la photo depuis les années 80 et je n'ai pas attendu Salgado sebastiao pour faire du noir et blanc. Évidemment, Salgado est un monument. Il a sa propre vision, sa propre esthétique, mais j'ai ma propre esthétique, je ne revendique d'aucune manière aucune affiliation, quelle qu'elle soit. J'ai mon propre langage, comme beaucoup d'autres.

Pour moi, le noir et blanc n'est pas une simple soustraction. C'est un langage d'architecture, de texture et de temps. C'est une volonté de fixer la brutalité des formes : les racines torturées de l'arbre, la terre craquelée par la sécheresse, le sillon profond sur le visage d'un quilombola. Je cherche la matière du désastre et la sincérité radicale dans le regard. Quand je shoote en monochrome, j'enlève toute douceur pour imposer la lecture du réel, comme un uppercut visuel. C'est une manière de rendre la scène indéniable, viscérale.


O Globo. : Si vous deviez nommer des figures qui ont façonné votre regard pour un tel reportage sur le terrain, quelles seraient-elles ?
M.B. : Mes phares viennent de l'école du reportage de l'extrême. Je pense beaucoup à l'Anglais Don McCullin. Sa façon de photographier la guerre et la misère avec une compassion féroce, de chercher la dignité y compris dans l'anéantissement, est une référence constante pour moi. Il y a aussi le Français Jeanloup Sieff, pour son utilisation magistrale des lignes, des ombres, du grain. C'est la fusion entre la rigueur esthétique et l'engagement sans compromis qui m'inspire. Ces photographes ont compris que le style n'est pas un artifice, mais un moyen d'atteindre une vérité plus profonde.
La Structure : Sanctuaire, Cicatrice, Résistance
O Globo. : Le projet se décline en trois chapitres : Le Sanctuaire, La Cicatrice, La Résistance. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous allez explorer chacun d'eux photographiquement ?
M.B. : Cette structure est ma "bible" pour le terrain.
Le premier chapitre, Le Sanctuaire, vise à montrer ce qui reste de la magnificence originelle. Je cherche à capter la monumentalité, la dignité des arbres séculaires, avec des compositions qui utilisent la contre-plongée pour souligner la verticalité de cette forêt qui se bat pour le ciel.
Ensuite vient La Cicatrice. C'est le chapitre le plus frontal, le plus douloureux. Ici, je documente la déforestation, les fronts de l'expansion agricole, mais en me concentrant sur les portraits d'individus marqués par cette lutte pour la terre. Je photographie les contrastes brutaux : les souches fumantes à côté des machines, les regards d'ouvriers pris dans le système. Ce sont des images qui se veulent un constat visuel sans appel.

Enfin, La Résistance. C'est le chapitre de l'espoir. Je vais à la rencontre de ceux qui se battent : les communautés indigènes, les scientifiques, les activistes qui replantent l'espoir. Mes portraits sont des gros plans sur la force des mains et la détermination des visages. La lumière revient dans ces clichés, non pas pour idéaliser, mais pour montrer l'effort nécessaire.
O Globo. : La Mata Atlântica est un hotspot de biodiversité. Comment cette richesse se traduit elle dans vos images, au-delà de la seule destruction ?
M.B. : La biodiversité se traduit par l'existence. Elle se manifeste dans les textures des lianes, dans la complexité des racines qui tiennent la terre, et dans les petits refuges de vie. Ce n'est pas une série animalière, mais la vie est partout. Dans le chapitre de la "Résistance", elle est palpable dans les efforts de reboisement, dans les graines que les gens collectent, dans la connaissance intime des plantes transmise par les communautés traditionnelles. C'est un lien vital qui est à la fois l'objet du reportage et le moteur de l'espoir.

.O Globo : La pollution et l'engagement social sont également des facettes de ce projet…
M.B. : La pollution est la conséquence indirecte de la déforestation : l'érosion, la contamination des nappes phréatiques par les produits chimiques des monocultures. Je photographie ces paysages où l'eau est trouble, où le sol est stérile. Quant à l'engagement social, il est le pilier central. Je vis avec les Guarani, les Quilombolas. Leurs vies, leurs luttes pour conserver leurs territoires sont inextricablement liées à celle de la forêt. Leurs visages, leurs rituels, sont la preuve qu'une autre relation avec la nature est possible. Mes photos sont faites pour redonner une voix visuelle à ces gardiens silencieux.
.O Globo : Ce projet va durer plusieurs années. Quel message fondamental espérez-vous laisser derrière vous ?
M.B. : Je veux que ces images fassent mal, qu'elles secouent. Mais surtout, je veux qu'elles soient un catalyseur. Si nous perdons ce qui reste de la Mata Atlântica, nous perdons un trésor biologique et une part essentielle de l'identité brésilienne. J'espère que mon travail montrera que la lutte est loin d'être terminée et que la résilience humaine est l'ultime rempart de la nature.
O Globo 2025/01/10








