top of page

EXT Photo Magazine #13 Brésil

ree


Entretien avec Manuel Besse: La Terre de Nod,

L'Âme à Vif de Rio


Journaliste: Pénélope Fiorindi, Magazine Regard Engagé


​I. L'Éthique au Corps à Corps : Le Poids du Témoignage


Question: M. Besse, votre œuvre « La Terre de Nod » s’est imposée comme un témoignage puissant sur les exclus des exclus à Rio. Vous êtes photographe français, mais votre présence au Brésil est profonde. Comment prenez-vous à équilibrer votre rôle d'observateur extérieur, essentiel à l'objectivité, avec votre engagement personnel, sans tomber dans le jugement ou le militantisme étranger ?


Manuel Besse (M.B.): C'est tout l'enjeu de ma démarche et c'est ce qui fait la tension de ma photographie. Mon travail est le produit de cette double respiration. D'un côté, la distance me rappelle une stricte éthique : je ne suis pas là pour juger la politique sociale brésilienne, je suis un témoin. Je documente les conséquences, pas les causes premières dans un sens strictement politique. Mais de l'autre, mon cœur appartient au peuple brésilien. Je vis ces extrêmes. Mes images ne sont donc jamais un reportage académique froid. Elles sont une affaire de sensibilité partagée, d'une vérité que je ressens dans ma propre chair.


Question: Vous avez choisi la référence biblique de la Terre de Nod, le lieu d'exil et d'errance, pour nommer ce reportage. Comment cette métaphore définit-elle les communautés que vous avez documentées ?


M.B.: Le titre est la clé de lecture philosophique. La violence que j'ai documentée était avant tout celle du silence structurel. La Terre de Nod représente ceux qui sont déjà au-delà de la marge, pour qui l'aide ne vient jamais. Après eux, il n'y a plus de filet social. C'est l'état d'errance existentielle. Mon appareil est devenu un acte de résistance, non pas pour les sortir de l'ombre, mais pour contrer leur effacement total de la conscience collective.


​II. La Publication Brésilienne : Un Acte de Légitimité


Question: Votre travail a obtenu une reconnaissance significative avec la publication d'un extrait dans EXT Photo Magazine au Brésil. Quelle était la stratégie derrière ce choix de publication plutôt que de privilégier un grand média européen ?


M.B.: La diffusion dans EXT Photo Magazine n'était pas une opportunité fortuite, mais une conviction intime, née d'une rencontre essentielle à Rio avec le photographe Flávio Souza Cruz. L'idée était simple : si mon travail parle du peuple brésilien, il doit d'abord être vu et jugé par le peuple brésilien. EXT Photo Magazine est une voix qui compte dans ce paysage. J'ai eu la conviction que c'était un excellent support car il met en avant des photographes locaux d'un talent exceptionnel. C'est un magazine spécialisé en photojournalisme et photo-documentation dont l'équipe, menée par Marco Antonio Perna (MAP) et incluant Ricardo Q. T. Rodrigues, défend un regard sans concession.


Question: Le magazine a titré votre reportage « Limbo Carioca ». Que dit ce titre de la perception de votre travail par vos pairs brésiliens, et comment se relie-t-il à votre concept de Nod ?

M.B.: Le titre est remarquable de justesse. Le terme "limbo" reflète précisément mon constat que la misère est ici une condition existentielle, un état d'entre-deux, de suspension permanente. "Carioca" ancre cette errance dans la réalité de Rio. Cela renforce l'idée de Nod : l'exil est à la fois géographique (la favela, la rue) et spirituel. Ma publication dans cette revue, rendue possible par l'invitation de Flávio Souza

Cruz, confère à mon travail la légitimité d'être jugé par la scène photographique qu'il documente.



​III. L'Immersion Extrême : Confiance, Code et Survie

Question: Votre reportage a nécessité plus d'un an d'immersion (Juin 2024 à Octobre 2025). Comment se gagne cette confiance dans des environnements aussi fermés que Rocinha ou Maré ?


Manuel Besse (M.B.): La durée est tout. Elle permet l'effacement. Je suis arrivé comme un photographe de l'extrême et témoin de l'invisible, mais la première règle est l'humilité. L'accès est uniquement possible grâce à la confiance placée en deux amis proches qui sont mes cautions. La confiance se gagne en partageant leur quotidien, le café, l'attente, en apprenant le microcode de la communauté. J'ai dû devenir un élément neutre du décor.


Question: Vous avez documenté la violence latente. Quel est le processus, le réflexe immédiat, pour « désamorcer la situation » face à un danger de mort ?


M.B.: Le danger à Maré est différent de tout ce que j'ai connu. J'y ai subi des événements marquants, comme trois braquages en 1h30. C'est une question de vie ou de mort où nous n'avons littéralement que 5 secondes pour détendre l'atmosphère. Le processus est une séquence réflexe : il faut une transparence absolue et un calme total. Je baisse immédiatement l'appareil, lève les mains pour montrer la non-agression, et parle doucement pour expliquer mon rôle d'observateur. L'honnêteté et le non-mensonge sur mon intention sont ma seule protection.




​IV. Le Dilemme Humain : Quand la Caméra s'Éteint


Question: Comment l'éthique de la photo-documentation vous permet-elle d'éviter le piège du misérabilisme ou de l'exploitation de la souffrance ?


Manuel Besse (M.B.): Le misérabilisme est un manque de respect fondamental. Ma règle est simple : je dois me demander si l'image va apporter de la dignité au sujet, ou seulement nourrir le voyeurisme du spectateur. Si la réponse est la seconde, je ne déclenche pas. Je refuse de romantiser la souffrance, car elle est trop réelle pour être esthétisée.

© 2025 POSTO 5 Photo Manuel Besse - Tous droits réservés
© 2025 POSTO 5 Photo Manuel Besse - Tous droits réservés


Question: Vous avez évoqué un incident à Botafogo où vous avez volontairement refusé de photographier, jugeant la scène trop lourde. Pouvez-vous détailler ce moment où l'être humain a pris le pas sur l'artiste ?


M.B: Oui. C'était en octobre. Une scène de détresse intense, avec des hurlements dans la rue. Des images et du son qui vous lacèrent et qui dépassent la simple narration visuelle. La souffrance était d'une telle intensité qu'elle n'était pas destinée à la consommation médiatique. Je n'ai pas levé l'appareil photo. Le geste de prendre l'image m'aurait semblé une trahison et une forme d'irrespect profond. Il y a des moments où le photographe doit s'effacer devant l'être humain. C'est l'une des leçons les plus importantes que j'ai apprises : parfois, c'est trop, et le seul acte éthique est de regarder sans enregistrer.


Question: Votre travail se concentre sur la résilience et l'action contre le manque. Quels détails cherchez-vous à fixer pour contrer le récit de la pauvreté absolue ?


M.B.: Je photographie l'effort et la force de vie brute. Je cherche l'ingéniosité des familles pour exister dignement. L'image est sur la résilience : l'enfant concentré sous la faible ampoule, la femme qui porte les bidons d'eau. C'est la dignité d'êtres humains qui continuent de vivre, de souffrir et de perdurer malgré tout.


ree

World Photo, nomination pour le Prix du public.



VII. Le Noir et Blanc : La Méthode et le Langage

Question: Pourquoi ce choix du noir et blanc ? Est-ce une nécessité philosophique ou technique pour vos sujets ?

M.B.: C'est les deux. Le noir et blanc est ma volonté traduite en lumière. La lumière de Rio est crue, violente, tranchante. En éliminant la couleur, je force le spectateur à se concentrer sur l'émotion pure, la texture de la peau, le contraste entre l'ombre et la lumière. C'est une photographie de l'âme. La technique soutient la philosophie : tout est piloté par l'intention initiale – chercher la vérité derrière le visible, accorder de la dignité. La photo n'est pas un hasard, c'est un acte volontaire.


​VIII. L'Horizon du Récit : De la Ville à la Forêt


Question: Au-delà de Rio, vous avez remporté le Grand Prix Photo de Saint-Tropez 2025 pour votre série "Farewell Rio" et avez été reconnu par les All About Photo Awards 2025. Comment ces reconnaissances influencent-elles votre prochain projet, qui est radicalement différent : « Le Dernier

Souffle » sur la Mata Atlântica ?

ree

M.B.: Ces récompenses, comme le Grand Prix pour "Farewell Rio", sont une validation que le message passe. Elles me donnent l'opportunité de continuer l'engagement. La transition de la ville à la forêt peut paraître radicale, mais elle est en réalité cohérente. « Le Dernier Souffle », mon projet sur la Mata Atlântica (la forêt atlantique brésilienne), est une autre histoire de survie. À Rio, je documentais les exclus humains ; en forêt, je documente un écosystème sous une menace constante, l'un des plus fragiles au monde.



Le Dernier Souffle de la Mata Atlântica Phase 1

Ne laissons pas s'éteindre « Le Dernier Souffle ».





Question: L'Agence Posto 5 que vous avez créée en 2025, est-elle une plateforme pour ces travaux ?

M.B.: Oui. Posto 5 est une agence indépendante et engagée. C'est un laboratoire d'images qui défend une photographie qui interroge, qui témoigne et qui relie. Elle est le socle qui me permet de financer et de structurer des projets de longue haleine comme la Mata Atlântica (dont la phase 2 est prévue pour 2026) et de garantir que chaque projet devient un manifeste visuel. J'ai aussi un autre projet qui me tient à cœur, beaucoup plus intime, pour lequel un nombre d'images dort encore dans mes archives. Il est trop personnel pour être exposé sans la bonne distance émotionnelle, mais la quête ne s'arrête jamais.



Conclusion : La Voix d'EXT Photo Magazine et l'Attente du Récit Intégral

​Le reportage Nod de Manuel Besse, publié sous le titre « Limbo Carioca » dans le numéro spécialisé

EXT Photo Magazine, est une réflexion profonde et visuelle. Ce travail est un témoignage significatif.


​Un Fragment de Vérité

​Il est crucial de noter que la parution dans ce magazine brésilien, aussi essentielle soit-elle, ne reflète qu'une infime partie, quelques images clefs, du reportage complet.

Le récit intégral de Manuel Besse – la documentation complète – sera très prochainement diffusé en ligne sur différents médias. De plus, les interviews vidéo ont déjà commencé à tourner, offrant une voix

directe à cet artiste. Ce n'est qu'une bande-annonce.


​Soutenir la Voix


​Nous encourageons vivement à soutenir EXT Photo Magazine. Ce magazine, animé par Marco Antonio Perna, Flávio Souza Cruz et leur équipe, est une plateforme pour des photographes brésiliens de grand talent. Ce média est facilement accessible en ligne https://extphotomagazine.com.br/magazines.php?number=13.

En vous intéressant à cette voix, vous vous reliez à une génération d'artistes qui se battent avec leur objectif. Regardez et diffusez au maximum cette tribune essentielle, véritable porte-étendard du

photojournalisme documentaire brésilien.


Pénélope Fiorindi




ree

Founded in 2019, EXT Photo Magazine was inspired by the vibrant passion shared by thousands of photographers in the famous Internet site GuruShots. Far from the bustling competitive atmosphere the platform may generate, photo lovers got to know each other, shared thoughts, concepts, techniques and, why not, friendship.Now, some of the best artists from all over the world can be seen on our online magazine every three months as a way to promote and celebrate those who are in constant seek to personal and professional improvement. Not only that, but we also hope to be a venue where the photography community can look upon to be in constant inspiring awe.


We are a small group of photography and publishing lovers with a journalism background and different jobs. We proudly dedicate some of our time to EXT. We are honoured to contact artists and bring together a wide sample of what we believe can be the best to inspire our community in the art of photography.

Fondé en 2019, EXT Photo Magazine s'inspire de la passion débordante partagée par des milliers de photographes sur le célèbre site Internet GuruShots. Loin de l'atmosphère compétitive et agitée que peut générer la plateforme, les amateurs de photographie ont appris à se connaître, à partager leurs réflexions, leurs concepts, leurs techniques et, pourquoi pas, leur amitié.

Aujourd'hui, certains des meilleurs artistes du monde entier peuvent être vus dans notre magazine en ligne tous les trois mois, afin de promouvoir et de célébrer ceux qui sont en quête constante d'amélioration personnelle et professionnelle. Mais ce n'est pas tout : nous espérons également être un lieu où la communauté photographique peut se rendre pour trouver une source d'inspiration constante.



Notre équipe

Nous sommes un petit groupe d'amateurs de photographie et d'édition, issus du monde du journalisme et exerçant différents métiers. Nous sommes fiers de consacrer une partie de notre temps à EXT. Nous avons l'honneur de contacter des artistes et de rassembler un large éventail de ce que nous pensons être le meilleur pour inspirer notre communauté dans l'art de la photographie.





Browse the EXT #13 Magazine


Featured photographers:


#Tadeu Vilani #Orlando Azevedo #Flávio Souza Cruz #Celso Oliveira #Rodrigo Lodi #Ricardo Q. T. Rodrigues #Míriam Ramalho #Marco Antonio Perna #Sérgio Jorge #Micha Ende #Paulo Rapoport #Renato Soares #Manuel Besse.




ree


EXT Photo Magazine, Brazilian Photojournalism, Ética na Fotografia, Fotojornalismo Rio, Revista fotográfica EXT, manuel Besse Photography, Magazine photo brésil, Flávio Souza Cruz, Marco Antonio Perna, Ricardo Q. T. Rodrigues, Brésil photo,



bottom of page